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Shahra, tome 1 : les masques d'Azr'Khila
Charlotte Bousquet
Mnémos
juin 2018
325 p.
#ISBN9782354086510
La petite histoire
Nous suivons plusieurs personnages dans leur périple souvent semé d'épreuves au sein d'un monde désertique, âpre et rongé par le mal : Shahra. Des forces divines semblent se livrer des combats au travers d'hommes marionnettes, subissant un destin jalonné d'épreuves traumatisantes, cruelles. A travers les points de vue de plusieurs personnages nous suivons quelques années de vie d'êtres asservies et avec un doux rêve de liberté.
Mon avis (attention spoilers!!!)
L'atmosphère, le monde créé
Un univers qui nous plonge dans un Moyen-Orient de fantasy, cruel, proche des Mille et une Nuits. Mais un monde empreint d'un mal insidieux, profond qui corrompt toute chose et tout homme. La pourriture, la déchéance, l'agonie, la mort est partout présente. Les touches d'espoir, de couleur sont infimes, des étoiles brillantes, loin, trop loin ?
Nous sommes à Shahra : un royaume dont la beauté est décrit dans le poèmes, les écrits mais qui semble un mirage dans les paysages désolés et semés de morts que les protagonistes traversent : désert de dunes, de pierres, où les dangers rôdent, labyrinthe, ou grotte, fleuves dangereux. Pourtant de cette aridité naît parfois des fleurs de sable, des rencontres insolites entre homme et animaux.
Nous sommes à une époque indéfinie avec un calendrier qui marque les moments forts de quêtes multiples. Un calendrier qui parle en années de 460 à 475 avec des aller-retour des flashback : pas toujours faciles à suivre. l'autrice crée de nouveaux mois avec des noms particuliers : mois du Mirage, du Griffon, des Ossements, du Cheval, de la Pluie, du Djinn, du Lion et des fêtes comme la nuit de l'Ekkhelil : sorte de nouvel An.
Nous sommes dans un "il était une fois" dans un ailleurs loin des contes de fées et si près pourtant avec ses barbe-Bleue, ses marâtres sous le souffle d'un vent chaud, perse aux parfums d'épices qui cachent mal l'odeur âcre de la charogne.
Les thèmes abordés
Un monde d'illusions illusoire. Un monde fait de mirages dans ce désert létal que traverse des vies liées par des fils tels les homoncules de Malik, enlisés dans un destin qui les dépassent. Pourtant on perçoit une clameur sourde, vibrante de liberté, de révolte qui rend le récit hypnotique. On veut comprendre le pourquoi de ces quêtes, voir jusqu'où chacun va puiser en soi pour se renouveler, se métamorphoser et en quoi.
La quête d'identité liée ici la métamorphose physique et mentale
Un univers où l'esclavage est roi dans les corps et dans les âmes. La dépendance, l'asservissement sont les chaînes visibles et invisibles qui entravent les personnages entre eux.
Les personnages
Quatre personnages féminins : entre fragilité et force, entre dépendance et liberté
Arkhane , une shalbia (Deux fois née), androgyne qui va connaître une mutilation atroce qui va lui donner une nouvelle identité.
Djiane, une danseuse d'arâm (danse guerrière sacrée) (Déjà morte) : elle va connaître l'amour avant de le perdre et se retrouver asservie.
Tiyyi, une kenzi aux multiples pouvoirs magiques (Cent Vies) : jeune adolescente, orpheline arrachée brutalement à sa famille, à son clan.
Aya Sin : chamane (La Mangeuse d'Aziram), femme aux cheveux roux d'une beauté sensuelle, marionnette de Malik, elle œuvre dans l'invisible pour sortir de ses chaînes.
Chacune de ces héroïnes est en marche vers son destin, sa transformation, guidée par la déesse de la vie et de la mort : Azr'Khila. Cette dernière s'exprime à travers les personnages de cette histoire. Elle agit dans l'esprit des êtres qu'elle anime.
Chacune suit un parcours initiatique où les épreuves sont multiples et cruelles, leur forgeant un caractère rebelle.
Des héroïnes malmenées, violentées, mutilées par la vie et toute à la fois messagères ou exécutrices de la mort et guérisseuses, porteuses de vie...
Ce sont des "guerrisseuses".
Il me tarde de découvrir la fin de ces histoires mêlées, liées par le fil du destin.
D'autres personnages constituent une population chamarrée en cultures et émotions
l'Amadh'r Malik : sorte de sorcier immortel enfermé dans le corps d'un mortel recherche la divinité à tout prix et surtout au mépris des hommes. Il nie, renie sa semi-identité humaine.
Kele'r Kwambe est un immortel, pendant inverse, sorte de Janus de Malik : il recherche la délivrance dans la mort qui lui est refusée.
Beaucoup de personnages esclaves ou bourreaux environnent les héroïnes de ces histoires : des tortionnaires, des amoureux, des traîtres, des personnes bienveillantes et protectrices, des proches...
Une servante espionne et jalouse, un amant lâche, un poète fougueux, un époux cruel et dominateur, des morts...
Des êtres aux pouvoirs magiques, évoqués dans les contes : Djinns, Efrits... ou encore les Kenzi : des hommes auxquels les Djinns ou les Dieux ont octroyés des pouvoirs liés aux éléments (vent, feu, terre, eau), des sortes de Chamanes tels Ferek, Yeshet : ils lisent dans le passé et l'avenir, relient visible et invisible, des sorciers et sorcières...
Un bestiaire étonnant et exotique mêlant créatures imaginaires et animaux d'Afrique étoffent cet univers riche.
Le vautour : il est le représentant de la déesse de la vie et de la mort, un Nehlîl (animal-totem) pour le chamane Yeshet
Le lycaon : il apparaît plusieurs fois dans le récit et accompagne Tiyyi à la fin de ce tome. Il est lié au passage vie-mort dans de nombreuses croyances africaines, notamment égyptiennes.
Les Chevaux et autres équidés : ils sont des animaux symbole de ténacité, de liberté et toujours lumineux. Ils représentent l'espoir et le réconfort : Zina, le petit âne rescapé de l'épidémie...
Le Griffon c'est un animal hybride majestueux et sacré : Digo est un des représentants de ces créatures que l'on rencontre dans le caravansérail de Kele. Il est à l'image des hommes, asservi, mourant, comme tout le peuple de Shahra sous l'emprise d'un mal qui le ronge, à l'agonie. Il symbolise un monde merveilleux maudit, croupissant où les monstres pullulent qu'ils soient du désert ou des fleuves, des créatures voraces, dévoreuses de vies : Ghûl, Elkhîl, Kaleth, Mokele...
L'écriture
Beaucoup d'introspection, de contes, de récits imbriqués, des points de vue qui s'alternent , les dyns (chansons), les poèmes... L'autrice crée un monde riche de personnages, d'odeurs, de paysages, de sensations avec le mirage des Mille et Une Nuits dans la forme et en fond. On a l'a même envie que le sultan près de Shéhérazade lorsque le récit s'interrompt de le voir se poursuivre pour entendre le destin tragique des héroïnes de ce conte cruel entre vie et mort, ce récit de vies où chacun avance et se transforme. J'aime ce mélange entre dialogues "sybilliens" trompeurs et l'introspection qui révèle les pensées profondes, les moments de transe.
Il me tarde de retrouver les "guerrisseuses" et de découvrir la fin de ces histoires mêlées, liées par le fil du destin.
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